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29 mars 2001 4 29 /03 /mars /2001 15:13

De : JMF
Date :  Jeudi 29, Mars 2001  16:13
Objet :  Re : Limericks


Tiens, je retrouve ça, un poème de 94 ou 95 intitulé...


AVATARS

La nuit en amples manches de tulle
tremble semble-t-il par intermittence
sur la rétine des fenêtres aveugles

Lente l'haleine du vent d'ouest évoque
tantôt un sinueux sommeil de long hiver
tantôt encore une conversation
d’ombres comme méfiantes

On pense à quelque chose
d'indéfinissable et d'ancien
qui aurait toujours été présent
à l'insu de tous
indifférent aux avatars
de toute cette matière chaotique
que nulle cohérence n'a jamais pu habiter

Articulations tendons chairs os et peaux
vivent dans les corps automatiques et machinaux
une vie qui depuis longtemps leur est propre
indépendante de tout souffle initial
et libre encore des fers de la pensée

Il ne reste plus de perceptible que l'abstraction
pareille à un déroulement syncopé d'images
dans les aboiements de lumière
d'une lanterne magique :
bien vite ce n'est plus
l'image projetée qui importe
mais le mouvement lui-même et ses énigmes

Il devient plus facile de maîtriser
le geste instinctif de la main vers l'avant
et le regard qui descend
progressivement vers le sol
confère maintenant à l'immobilité
du corps en attente
une façon d'attrait inattendu
perçu comme une récompense

D'infimes espaces de néant
sont étrangement les seules choses encore
qui se voient lorsqu'elles se meuvent

*  *  *

Qui croit-on appeler
lorsque lentement l'eau monte dans les poumons
et qu'elle s'en vient clapoter contre la luette
dans un langage comme humilié?

Rien n'a plus de nom
les objets eux-mêmes ne sont plus que formes
les gestes des soubresauts des élans ultimes
de ce qui n'est déjà plus une âme
mais une trame diffuse qui se désagrège
une trace qui s'éteint sans résistance
et sans laisser de phosphènes

Au cœur de la matière
le mouvement est une psychose
mais ce qui ne se meut
n'existe-t-il donc pas?

C'est la question inlassablement posée
à tout ce qui nous hante et nous guette
au-delà des mondes de l'invisible :
de quoi servirait qu'il y eût une réponse
puisque la question elle-même est impertinente?

Franchir un à un tous les paliers
qui se superposent vers l'imaginaire
présuppose qu'il faille se mourir à soi-même
et puis seulement renaître en dépit de la douleur
non pas comme le phénix le ferait de ses cendres
mais en se dégageant du vide glacial
inhérent à toute conception projetée
et qui nous désespère tant

*  *  *

Elle se couchait sur lui belle et lourde
en lui offrant son dos largement dénudé
il lui demandait de chanter
de sa voix triste de soprano
"Les Attentives" de Guillaume Apollinaire
les paroles lui importaient peu
moins en tout cas que la poésie de la musique
ou que le lent glissement de ses seins opulents
dont les larges et sombres mamelons émoustillés
s'échappaient de l'ourlet du bustier de velours

Il l'écoutait aurait-on dit par ses mains
qu'il posait sur la lourde étoffe noire
tendue à se rompre sur ses hanches royales
il sentait la lenteur calculée de son souffle
lui effleurer le haut du cou et la joue
pendant que doucement ses mains à elle
lui pressaient ses avant-bras à la peau froide

La béatitude parcourait telle une balle d'acier
l'interminable et obsédant tunnel du désespoir
et la paix où ils s'abîmaient ensemble
leur faisait éprouver le même amour majestueux
pour le couple qu'ils formaient tous deux
et qui prenait sans le moindre effort
possession de tout ce qu'aucun d'eux seul
n'aurait pu lui offrir à l'autre

*  *  *

Les mots butent sur le Temps
tels des ricochets sur des palissades

Appuyé de l'autre côté
un enfant albinos asexué
sourit avec sur les lèvres
de l'écume et de la pitié

De crainte de tomber
il peuple et dépeuple
de tout ce qui lui vient en tête
le vide oppressant
auquel il n'ose tourner le dos

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